par Élise HENRION et Mathias DUPUIS

L’anthropologie funéraire est une spécialité de l’archéologie qui s’attache à étudier les modes d’inhumation des époques passées ainsi que les populations inhumées dans les cimetières et autres ensembles funéraires. Si, dans la majorité des cas, la cause de la mort n’a pas laissé de trace sur le squelette des défunts mis au jour, il arrive parfois que des stigmates visibles sur certains os nous permettent de l’appréhender.

Depuis la création du Service départemental d’archéologie et sa première fouille en 2011, cela fut le cas à quatre reprises sur des sites datant de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, où nous avons pu découvrir des restes humains témoignant de traumatismes particulièrement violents, dont au moins trois d’entre eux peuvent être rattachés à un contexte belliqueux. Nous vous proposons donc de découvrir ces “cold cases” archéologiques à l’occasion d’Halloween. Bonne lecture !

Les bras entaillés de Saint-Etienne-des-Orgues

Le cas le plus ancien documenté au cours de nos opérations archéologiques est celui du squelette d’un homme retrouvé lors de la fouille de la tombe 139 dans la nécropole tardo-antique de l’Abadie, à Saint-Étienne-les-Orgues.

Cette fouille préventive, conduite en 2012 préalablement à la construction d’une maison d’habitation individuelle, a permis de mettre au jour une partie d’un cimetière utilisé entre le IV^e et le VIII^e siècle de notre ère. Les inhumations se répartissent sur un coteau des piémonts méridionaux de la montagne de Lure, sans doute à proximité d’une voie de passage qui longe ce massif, permettant ainsi de relier la vallée de la Durance et les monts du Vaucluse. Le mobilier découvert sur le site, essentiellement composé des éléments de parure vestimentaire qui accompagnaient les défunts, inscrit cette découverte dans le corpus des nécropoles rurales du haut Moyen Âge connues en Haute-Provence (Cadarache, Valensole, etc.).

L’individu, inhumé dans une tombe formée par un coffrage de tuiles romaines (tegulae) disposées en bâtière a été datée par la méthode du radiocarbone des V^e-VI^e siècles. Cet homme âgé de moins de 50 ans présentait, sur la face postérieure de ses deux humérus (c’est-à-dire à l’arrière des bras, juste sous les épaules), des entailles laissées par un objet tranchant (épée, couteau ?). Ces traces de coupure indiquent que l’individu a subit une agression violente, portée en deux coups distincts. Elles auraient pu avoir été infligée dans le but d’handicaper l’individu, afin qu’il ne puisse plus utiliser ses bras pour se défendre. La mort de cet homme, bien qu’elle n’ait pas été provoquée par ces blessures, a probablement eu lieu peu après ce traumatisme, aucune réaction du périoste (la surface de l’os), n’ayant été observée : en somme, il n’a pas eu le temps de cicatriser. Le squelette ne porte aucune autre lésion indiquant la cause de la mort.

Si la tombe de cet individu n’a livré aucun vestige mobilier, d’autres sépultures découvertes à Saint-Etienne-les-Orgues posent question, même lorsque les squelettes ne présentent pas de traces de traumatismes particuliers. On est ainsi particulièrement intrigué par la sépulture 138 qui contenait le squelette d’un très jeune adolescent, déposé sur son côté gauche dans un coffrage de pierres et accompagné par un étrange attirail métallique : une clef très massive avec sa chaine, ainsi qu’un couteau et une boucle de fer…

Traumatismes crâniens à Senez

La fouille du site de l’ancienne cathédrale de Senez a permis, au cours des différentes campagnes conduites depuis 2012, de mettre en évidence les vestiges d’une vaste nécropole qui se développe aux abords de l’église, à partir de l’Antiquité tardive. Lors d’un diagnostic réalisé en 2014, à l’emplacement du terrain de pétanque qui jouxte la cathédrale du côté sud, nous avons découvert plusieurs tombes formées par des coffrages de dalles de grès et dont la chronologie se situe entre l’époque carolingienne et le Moyen Âge central. À l’intérieur de l’une d’entre elles – la sépulture 218 – était conservé le squelette d’un jeune homme, âgé entre 16 et 20 ans et d’une stature avoisinant les 1,70 m.

L’individu présentait un traumatisme fatal au niveau du pariétal droit, provoqué par un objet tranchant et ayant induit une perforation du crâne. Là encore, l’absence de signes d’infection ou de début de cicatrisation indique qu’il n’a pas ou que peu survécu. Toutefois, son sort était d’ores-et-déjà scellé, car d’autres lésions, visibles sur les vertèbres thoraciques et lombaires, laissent présumer que ce jeune homme était atteint par une tuberculose osseuse, probablement assez virulente et envahissante au vu de l’ouverture des lésions.

Bien que l’on ne puisse associer les deux évènements, un second squelette, retrouvé en 2017 lors de fouille de la tombe 517 dans la sacristie de la cathédrale, porte également les traces d’une mort violente. Très partiellement conservée et datée par radiocarbone des XI^e-XII^e siècles, la sépulture a livré le crâne d’un adulte, probablement de sexe féminin, dont le pariétal gauche montrait une fracture par enfoncement, imputable à un objet contondant et dont l’extrémité devait avoir une forme rectangulaire. L’absence de réaction osseuse indique que l’individu n’a pas survécu à cette agression.

Le pied (mal) amputé de Céreste

L’un des cas de figure recensés au cours de nos opérations archéologiques est celui de la tombe 110 du cimetière du site de Saint-Pierre à Céreste. Cette opération archéologique, conduite à l’été 2011, avait permis de mettre au jour une petite église rurale du haut Moyen Âge, entourée par son cimetière.

À l’intérieur du cimetière, une sépulture datée par radiocarbone des VIII^e-X^e siècles se démarque particulièrement. En effet, l’individu – un homme âgé entre 18 et 23 ans – disposé dans un coffrage de pierre anthropomorphe (qui épouse la forme du corps humain), a fait l’objet d’un geste funéraire bien singulier : l’extrémité de sa jambe droite portait la trace d’une amputation du tiers distal du tibia et de la fibula (aussi appelé péroné).

En somme, son pied droit à été coupé à une dizaine de centimètres au-dessus de la cheville. Toutefois, la fouille de la sépulture montre que le pied coupé a été replacé dans la tombe lors de l’inhumation du défunt, juste au-dessus de l’extrémité amputée. On peut donc en déduire que l’individu n’a pas survécu très longtemps après son amputation, puisque son pied était encore suffisamment bien conservé pour pouvoir être déposé dans la tombe à ses côtés.

Il est difficile d’extrapoler sur le contexte précis de cette lésion, mais sa localisation et le double coup favorise l’origine chirurgicale. En ce qui concerne les compétences du « chirurgien », elles sont quelque peu mises en doute. Tout semble en effet démontrer que cette intervention ne s’est pas très bien déroulée : l’observation des lésions osseuses montrent que la section a été effectuée en deux temps. Un premier coup a été porté sur le côté intérieur de la jambe droite par un instrument lourd et tranchant, de type hache, mais n’a sectionné que le tibia. L’outil est alors venu buter contre la fibula et un second coup oblique, porté légèrement plus bas, a été nécessaire pour compléter l’amputation.

Pourquoi était-il nécessaire de couper le pied de cet individu ? On peut émettre une hypothèse : l’extrémité de la jambe coupée présentait un très mauvais état de conservation par rapport au reste du squelette, qui pourrait avoir été provoqué par un traumatisme ayant motivé l’amputation (écrasement).

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